LE TROMBINOSCOPE

DOUMET (Émile-Auguste), militaire, homme politique et botaniste né le 13 décembre 1796 à Paris. Incité et stimulé par une mère éprise de botanique, le jeune Émile montra de très bonne heure une fiévreuse disposition à l’étude du monde végétal. Mais une opération chirurgicale lui fit craindre de perdre cette fibre bucolique, l’ablation des végétations. Le chirurgien dut se fendre de monceaux de démentis

pour ramener son patient à la raison. Avec des dispositions pareilles, il ne fallait guère penser à faire du jeune Doumet un banquier.


Requinqué, Émile voyait germer en lui une autre de ses passions, l’uniforme. La sève militaire monta telle une infanterie napoléonienne lancée à bride abattue à l’assaut d’un hostile promontoire, comme l’aurait fait son père si, officier et royaliste, il n’a vait quitté en 1796 son régiment de Dragon tombé aux ordres de Bonaparte. Ce

père, Jean-Baptiste Doumet, venait d’épouser l’année précédente Aglaë Adanson (lire premier encadré), écrivaine, horticultrice et fille du grand naturaliste Michel Adanson. De leur courte union naîtront deux fils, Émile-Auguste et Anacharsis. Leur éducation est prise en charge conjointement. Ils firent de brillantes études au Collège impérial, après y être admis par l’entremise de la mère d’Aglaë et de son père, Michel Adanson, membre de la Légion d’honneur qui fut reçu par le Premier Consul entre deux dissections.


Alors qu’Anacharsis accompagne la mère à l’arboretum de Balaine (lire deuxième encadré), Émile suit le père à Cette, qu’un botaniste nommera Sète un matin de 1927 ayant découvert la singularité de cette oasis.

Le nom de Doumet est

étroitement lié à Sète. Les

archives de la ville — tel un

herbier nous documentant

sur les racines plus ou

moins endémiques de ses

administrés — mentionnent

dans leurs collections

un premier spécimen,

Jacques Doumet élu maire

de Cette en 1748. Suivra un

Doumet négociant — au

surnom vernaculaire

l'Américain — élu Conseiller

en 1800. Puis est consigné

Jean-Baptiste Doumet

(1767-1848), né à Cette,

qui fut maire de 1837 à

1847 après s’être lancé

dans le négoce. Plus loin,

Émile-Auguste Doumet

(1796-1869), son fils ainé et

objet de la trombinoscopie,

fut porté à la mairie de

Cette de 1849 à 1865, et à

la députation de l’Hérault

de 1852 à 1863. Il eut un fils,

Paul Napoléon Doumet-

Adanson (1834-1897) qui

prendra place 9 ans plus tard

dans son fauteuil de maire

de 1874 à 1876. Il est à ce jour

le dernier magistrat d’une

lignée qui aura marqué d’une

empreinte éphémère leur

cité, dont le jardin public

(lire encadré page 42) créé

par Émile-Auguste demeure

le dernier témoin, sans avoir

jamais porté son nom. Il

nous reste une petite rue

Doumet où fut érigé son

musée aujourd’hui disparu.

Après la prise de Dunkerque en 1659, Mazarin crée la charge de Commissaire général des fortifications pour Clerville qui devra préparer la riposte aux agressions barbaresques en effectuant une reconnaissance des côtes nord-africaines. Mais c’est à Marseille, après avoir culbuté une révolte d’anciens frondeurs, que Louis xiv décide en 1660 de faire construire le fort Saint-Nicolas. Pour protéger la ville d’une agression venue d’une triade canaille, Alger-Tunis-Tripoli, autant que pour amatir les Marseillais. Clerville retient l’emplacement derrière l’abbaye de Saint Victor, dont l’étendue est suffisante pour y maintenir l’autorité du roi. La construction, suivant ses plans en étoile et à double enceinte, durera 4 années.


Après une première incursion en 1661 sur les côtes barbaresques, il participe à l’expédition maritime et terrestre du duc de Beaufort en 1664. Prévue un an plus tôt au départ de Toulon, elle sera reportée à 2 reprises, officiellement pour raison diplomatique. En fait pour l’impréparation d’une flotte laissée par Mazarin dans un état que Colbert avoua être le « plus pitoyable qu’on puisse imaginer ». La France ne possède plus que 20 vaisseaux et 6 vieilles galères, la plupart tout juste en état de naviguer. Les chiourmes fondent comme peau de chagrin par manque de forçats, les meilleurs marins se sont exilés — l’époque se prêtait aux étripages, les marins aux plus offrants — les plus casaniers sont aussi inexpérimentés qu’indisciplinés. L’expédition se présente sous de fâcheux auspices avec l’artillerie dirigée par Monsieur de Bétancourt, le génie par Louis Nicolas de Clerville. Elle se soldera par un cuisant fiasco du fait d’un manque de sens tactique du premier et d’une absence de génie militaire du second. Un fieffé loupé de Clerville alors qu’il se piquait, à tort, de bien connaître les royaumes turcs du Maghreb et l’Islam. Louis xiv lui avait fait confiance pour le choix du rivage où débarquer au lieu de s’adresser aux Français d’Alger, ou au consul de France, un père lazariste, parfaitement informé des relations entre les Turcs et les Arabes qui occupaient le territoire berbère et les tribus locales. Clerville ne trouvera jamais à Gigeri les matériaux et les ouvriers nécessaires à la construction de la base française. Un renfort leva l’ancre de Toulon qui devait y acheminer des matériaux de construction, des outils et des ouvriers, pour répondre aux demandes de Clerville. Une tempête le fera sombrer au sud de la Sardaigne. Accumulant les erreurs, Clerville se servira parmi les pierres tombales du cimetière, au mépris des haut-le-cœur musulmans. Ses espoirs de construire un bastion et de faire de Gigeri un comptoir commercial qui lui aurait permis de faire fortune sombrèrent avec ce naufrage.

Vauban, l’autre étonnant voyageur

Du successeur de Clerville à la fonction de Commissaire général des fortifications de France, on relève de nombreux témoignages de son œuvre. De vastes ouvrages civils hydrauliques, comme le canal du Midi, et quelques 150 fortifications. Si elles ont toutes un air de famille, chacune est différente du fait d’une situation géographique particulière.


Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban (1633-1707) n’est certes pas l’inventeur de ces fortifications austères, basses, à angles et arêtes en proue de bateau, mais plutôt un perfectionniste. Il optimise chaque site pour retarder le plus longtemps possible l’approche de la dernière muraille.


S’il enterrait ses fortifications pour en diminuer la visibilité, Vauban, aidé par une constitution robuste, se montrait partout, parcourant plus de 180 000 km, à cheval, en chaise ou à pied sur des routes et des chemins que l’on imagine peu charitables. Il ne passera chez lui qu’environ 22 jours par an en 53 années au service du Roi-Soleil.


Vauban attendra longtemps son bâton de maréchal de France qu’il obtient 4 ans avant sa mort. Le roi l’assiégea sa vie durant avant de ne voir en lui qu’un criminel pour avoir écrit un ouvrage remettant en cause les privilèges de l’aristocratie et du clergé. Ce qui fera dire au supplicier, qui allait mourir de chagrin : « Bienheureux celui qui peut mettre un intervalle entre la vie et la mort ».

Le principal ouvrage civil d’envergure auquel il se frottera a pour nom Canal royal en Languedoc pour la jonction de deux mers, comme le feront plus tard le canal de Suez et celui de Panama, tous trois, surgis du cerveau de nos ingénieurs. Louis Nicolas de Clerville est membre de la commission chargée d’évaluer le projet et d’établir les devis de ce qui deviendra le canal du Midi. Les arguments avancés par Pierre-Paul Riquet (voir la Trombinoscopie), un collecteur des impôts devenu entrepreneur, sont certainement économiques—enrichir le Languedoc—mais surtout politico-militaires, en faisant passer les galères royales de la côte atlantique à la Méditerranée en évitant le passage par le détroit de Gibraltar, et donc l’Espagne et les Barbaresques. Clerville avait une vision plus modeste de l’utilité du canal, caressant le projet d’y faire passer de modestes barques. Il délègue la surveillance des travaux mais se rendra fréquemment sur le chantier, excepté durant la période 1671-1675 où il est trop accaparé par ses tournées d’inspection.


C’est également lui qui prépare le chantier de construction du port de Sète, au milieu des années 1660, et qui rédige le rapport sur l’ensablement portuaire, tout en préparant les plans de la ville, encore quelques semaines avant sa mort. Deux écueils auraient pu être fatidiques au choix du cap de Cette pour un port méditerranéen : l’insularité et l’insalubrité du climat. Une côte languedocienne peu hospitalière aux navires ajouta de retarder les grands commis de l’État à laisser Clerville choisir la fondation ex nihilo d’un port à l’abri du mont Saint-Clair. Un site imaginé pour devenir le principal port du Languedoc et de Montpellier, sa capitale, alors que le projet initial prévoyait une rade lagunaire. Les premiers enrochements du Môle et l’excavation de la plage pour relier mer et étang commencent les premiers mois de 1666. La jetée longue de 650 mètres protège l’entrée du port et offre un abri aux galères royales. Les populations des villages avoisinants, Bouzigues, Mèze, Frontignan, Marseillan, viennent travailler dans la cité portuaire et en formeront le premier peuplement. Le 29 juillet 1666, le port est inauguré sans Clerville, retenu par ses incessantes missions de commissaire des fortifications royales.

Un mea culpa au prorata ?

Le marché lucratif de la traite d’esclaves s’est longtemps partagé en 4 zones distinctes : 


• La traite intérieure africaine alimentée de tous temps par des razzias interethniques fournissant domestiques, porteurs et ouvriers. Un marché à l’origine de plusieurs dizaines de millions de victimes.


• La traite orientale et transsaharienne, du viie au xxe siècle, connue sous le nom de traite orientale à destination de la péninsule arabique, Afrique du Nord et Moyen Orient (8 à 10 millions de victimes).


• La traite atlantique organisée par les Européens du xvie au xixe siècle à destination de leurs colonies antillaises et américaines (13 à 17 millions de victimes).


• La traite de l’océan indien du xe au xixe siècle vers la péninsule arabique puis, à partir du xviie siècle, vers les colonies européennes dans cette partie du monde (16 à 17 millions de victimes).


Pour l’Afrique, le nombre d’esclaves morts durant leurs captures, avant d’embarquer sur les navires négriers, ne sera jamais connu. À l’échelle de la planète, les abolitions progressives de la traite et de l’esclavage d’hommes, femmes et enfants s’étalent sur plus de 2 siècles. Mais si le combat légal semble achevé, l’esclavage demeure une évidence.


(Sources : Mémorial de l’abolition de l’esclavage de Nantes)

Une dernière charge de gouverneur d’Oléron mit un point final à un destin marqué au sceau d’une rigoureuse opiniâtreté. Un chevalier usé partit se claquemurer à Montpellier, dans la paroisse Notre-Dame-des-Tables avec sa chevalière Paule Poussart de Linières. Elle y tomba gravement malade avant de se rétablir pour veiller aux derniers jours de son paladin qui passa le blason à gauche le 16 octobre 1677, à l’âge de 67 ans. Il garda jusqu’à son dernier souffle ses fonctions de Commissaire général des fortifications, en dépit d’un Vauban de plus en plus encombrant, qui eut à cœur de le pousser du coude pour y exercer son art de façon collégiale un temps, puis vitement d’une poigne autarcique.



La trombine du chevalier de Clerville nous est inconnue, trop occupé à lever une carte géographique ou un camp militaire pour prendre le temps de poser, pour la renommée, devant un chevalet. Ce que ne manquera de faire son successeur Vauban à de nombreuses reprises, plus soucieux de sa postérité. La vie de Clerville, dont l’Histoire se détourna, était celle d’un aventurier courageux, cultivé, ami des arts et des artistes, empreinte de gyrovaguisme profane — cette quête itinérante et solitaire d’un moine, battant la campagne de monastère en couvent — emportée par d’épuisantes chevauchées qui ne le cédèrent en rien à celles de son substitut. Les angelots et les génies illustrant les cartes que dressa Clerville personnifient sans doute celui qui fut à l’origine de Sète, dont nous célébrons en 2023 le 350e anniversaire de sa fondation. Le graveur pensait-il au jeune Louis-Nicolas lorsqu’il en traça les contours ? On s’autorisera à l’imaginer.

Une encoignure au ventre de la mer

L’expression ne pouvait naître que de la plume d’un ingénieux cartographe. Clerville définissait ainsi, dans un de ses nombreux mémoires, la topographie du port de Sète, adossé entre 2 eaux au mont Saint-Clair. Une métaphore chargée de conjurer le mauvais sort qui allait s’acharner contre lui et Riquet sous diverses formes : d’indomptables ensablements, un manque de main d’œuvre tout aussi récurrent, des chantiers interrompus et financés au lance-pierre du fait d’hostilités locales et de belligérances lointaines… 


Ayant repoussé d’un revers de main une aimable rade intérieure, l’étang de Thau, Clerville jeta son dévolu sur ce revêche promontoire, laissant les entrepreneurs dubitatifs. Ou s’est-il fait forcer la main par l’évêque d’Agde, puissant propriétaire du pourtour de la lagune ? Les projets initiaux d’implantation sur les rives de l’étang auraient privé celui-ci de revenus tirés de maniguières et de terres arables. Le port sera donc construit en mer, sur le versant oriental de l’île où les falaises rendent impossible toute activité de pêche, les fortes dénivellations et l’affleurement du rocher celle d’une expansion agricole. Clerville dut sans doute se faire prier pour protéger les intérêts pécuniaires de l’évêque.