PONS DE L’HÉRAULT (André puis Marat-Lepelletier Pons dit) officier de marine, commandant d’artillerie, révolutionnaire, préfet, ingénieur, historiographe — que Napoléon aurait surnommé le couteau suisse de l’île d’Elbe si l’outil multi-tâche avait existé en son temps — né voici 250 ans, le 11 juin 1772. L’administration municipale de Cette où il vit le jour décida en 1793 de se rebaptiser Sète. Une hardiesse qui restera lettre morte pendant 135 ans. Pons fut sans doute à l’origine de cette initiative, alors qu’il décidait, durant la Convention, de se nommer Marat-Lepelletier Pons, en hommage aux 2 martyrs de la Révolution.

Fils d’un pauvre aubergiste d’origine espagnole qui le destinait à la prêtrise, Pons était le second de 4 frères. L’ainé restera dans sa ville natale pour s’échiner dans un chantier naval, un autre deviendra capitaine de navire, le plus jeune prendra en Espagne l’habit religieux qu’André avait refusé. Celui-ci commença pourtant ses études primaires chez les picpusiens cettois, une congrégation vouée principalement à la formation de séminaristes. Mais il ne put développer longtemps des qualités de potache laborieux, doté d’une vaillante mémoire. Par bonheur, l’instinct du périple et la maîtrise maritime, flattés par l’indigence familiale, s’éveillèrent à tire-d’aile. À 10 ans, il s’embarquait comme mousse sur un bâtiment marchand ; à 17 ans, il était officier en second sur son navire.

Cette carrière maritime qui s’annonçait si prometteuse fut vite interrompue par les événements. Quand à la monarchie constitutionnelle succède la République, Pons se pique de républicanisme. Lors du siège de Toulon occupé par les Anglais en 1792, il est nommé commandant des canonniers et de l’artillerie de Bandol. Bonaparte le désigne alors pour le commandement de l’infanterie. Pons fit évader 32 citoyens accusés de fédéralisme et promis à la guillotine par un tribunal révolutionnaire zélé, si l’on admet ce pléonasme. Cet acte héroïque remonta jusqu’à Robespierre. Son retour de Toulon à Cette fut glorieux et célébré. En 1794, la Société populaire locale en fit son président. À ce titre, il prononça un retentissant discours « pour la fête de l’abolition de l’esclavage ».

* Pons signait de son prénom Marat-Lepelletier et non comme il aurait dû Marat-Lepeletier (un seul l à Lepeletier), en hommage à Louis-Michel Lepeletier, marquis de Saint-Fargeau. 

Le régime républicain de la Convention nationale, entre 1792 et 1795, vit une folie anthroponymique s’emparer des révolutionnaires et de leurs partisans. Après avoir pondu dans un poulailler des Tuileries un calendrier fermier à l’usage du citadin, nombre d’entre eux s’en prirent, dans les registres de naissance, à leurs propres fiches patronymiques ou à celles de leurs descendances. Pendant la Terreur ou après la mort de Robespierre, période durant laquelle les particules nobiliaires devenaient toxiques, une solution fut trouvée pour se donner l’apparence de révolutionnaire bon teint : les prénoms traditionnels raturés, on prenait les noms des martyrs de la Révolution. 


Pons lui-même, fervent républicain et trouvant André peu ragoûtant, s’octroya pour prénom les patronymes Marat et Lepelletier avant de prendre le sobriquet Pons de l’Hérault, sans doute pour éviter une confusion avec un homonyme, Pons de Verdun, député de la Meuse et secrétaire de la Convention. Car l’origine du choix d’un prénom ou d’un nouveau patronyme, outre le calendrier légumier et floral, pouvait être une ville, un canton, une province. Quasi exclusivité de l’aristocratie, en décidant de s’emparer de ses privilèges à partir de 1790, les révolutionnaires et leurs ouailles ne firent que singer ceux qu’ils combattaient.

Il se marie le 5 juin 1802 avec Catherine Bouilhon, qui donnera naissance à 2 filles, Hermine et Cécile. Une faveur maçonnique du comte de Lacépède le propulse, fin 1809, directeur des mines de fer de l’île d’Elbe, propriété de la Légion d’honneur dont le naturaliste était le grand chancelier. Aux premières loges du coup de pouce, fut-il aristocratique, se trouve souvent la franc-maçonnerie, discrète agence d’emploi pour initié, fut-il républicain, en mal de carrière.


L'île d'Elbe fut allouée à Napoléon, souverain déchu, en pied-à-terre perpétuel. Pons servit d’agent immobilier quand le nouveau propriétaire, débarquant le 4 mai 1814 dans son impérial asile, le trouva peu meublé et bas de plafond. L’avant-dernier acte du drame napoléonien s’ouvrait petitement devant un hôte qui allait néanmoins se découvrir une vocation littéraire. Pons deviendra l’historiographe de l’empereur à la demande de celui-ci. Il se formera la plus haute opinion de son devoir, s’imaginant porteur d’un sacerdoce quasi divin. Mais cette mission, dépeinte dans 2 ouvrages (lire encadré ci-dessous), ne le troubla pas. Pons offre ce singulier exemple d’historien à la fois républicain et napoléoniste, comme il aimait à dire, témoin à décharge plutôt que défenseur.


Pourtant, le républicain robespierriste et opposant farouche de l’empereur allait être assez vite embabouiné par le génie et le magnétisme de son sujet. Durant plus de 300 jours, Pons allait tenir le journal de l’empereur dans sa Principauté et en faire le plus authentique portrait : ses faiblesses et ses affectations seigneuriales, ses vanités théâtrales, avec une désinvolture que ses opinions républicaines n’ont certainement pas entravée. Un souverain tantôt majestueux, tantôt enragé, tour à tour bonhomme et fourbe, optimiste et désabusé. Des intimités si fouillées, une richesse d’expressions si précises et sûres — loin des représentations condescendantes et hautaines qui tapissent les murs de nos palais républicains — qu’il nous est aisé d’être convaincus avec Pons que « ce n’est qu’à l’île d’Elbe qu’on a pu réellement étudier et connaître Napoléon ».


L’empereur logeait à l’hôtel de ville qu’il avait fait surmonter d’un drapeau de sa composition. L’étendard — une bande oblique rouge sur fond blanc, ornée de 3 abeilles d’or — fut également hissé sur le point culminant de l’île où il rencontra un tel succès que les pirates barbares le saluaient en passant, y voyant le symbole de leur héros guerrier. L’inspection détaillée de sa « petite bicoque » et de ses forts, la prise de possession des îlots voisins, ses dernières conquêtes, lui avaient ouvert l’appétit. Pons l’invita dans sa maison à déguster sa fameuse bouillabaisse, que l’officier Bonaparte avait déjà appréciée à Bandol en remerciement du rapide avancement militaire de son hôte.


Napoléon s’en était souvenu. La comparaison entre la bouillabaisse marseillaise et la sétoise ne manqua pas d’alimenter la conversation. Et lorsque l’empereur lui dit de la Marseillaise qu’« elle valait une armée », parlait-il de la bouillabaisse ou de l’hymne national ? Car du côté de la Canebière comme de l’île singulière, on ne prend pas ce plat emblématique à la légère, qui peut à lui seul soulever des légions d’éloges. Après les compliments de rigueur, l’invité, qui n'avait pas négligé d’inspecter la demeure de son hôte, la trouva également à son goût. Sitôt la pèche Elba avalée, il convia son aide de camp à le lever pour s’y installer en moins de temps qui lui en fallait pour lever une armée. Celle qu’il leva peu avant de rompre le bail de son rocher pour motif légitimiste et sérieux — un peu moins de 700 soldats — allait se révéler suffisante pour reconquérir son domaine impérial.


Pons avait noté chez Napoléon un manque d’intérêt grandissant pour l’embellissement de son pré carré. Aussi lui offrit-il une nouvelle bouillabaisse lors d’une partie de pêche au cap Stella. Il se doutait bien que l’empereur mijotait de son côté un en-cas à emporter qui allait laisser des arêtes dans la gorge de nombreux républicains. Quand celui-ci lui annonça « vous venez avec moi et vous ne me quitterez plus », Pons s’aperçut que sa bourride avait une nouvelle fois déridé son convive et constatait surtout le renforcement de l’organisation militaire de l’île. Missionné pour préparer le retour de l’empereur, il le suivra dans le dernier acte du drame napoléonien.

Léon-Gabriel Pélissier (1863-1912) historien et doyen de l’Université de Montpellier publia 2 ouvrages à partir des liasses de notes historiques de Pons de l’Hérault. Ils sont accessibles sur la plateforme Gallica de la BnF. 

Dans ses introductions et ses nombreuses notes de bas de page, Pélissier ne masque nullement sa sympathie pour le personnage, quitte parfois à manquer de distance. 

Ses 2 ouvrages sont :

Souvenirs et anecdotes de l’île d’Elbe par Pons de l’Hérault (Librairie Plon - 1897) publiés d’après le manuscrit original et accompagnés d’un portrait en héliogravure de Pons.

Napoléon souverain de l’île d’Elbe – Mémoires de Pons de l’Hérault (Librairie Plon - 1934)

Pons signa ses mémoires : Un compagnon d’infortune de l’empereur Napoléon.


Pons de l’Hérault débordait d’énergie littéraire au point de coucher sur le papier, outre ses mémoires, des Rêves politiques et militaires, des Idées sur le gouvernement de la Toscane, des Journaux de voyage en Italie, des Comédies rimées, des Poésies en français et en languedocien, le Début d’une étude comparée du Directoire avec le régime impérial

Les Cent-Jours commencèrent avec le débarquement à Vallauris le 1er mars 1815 et la marche de plus en plus triomphale vers Paris, période surnommée le vol de l'Aigle. L’expression ne cessera d’écarteler les historiens, sur la signification du mot vol, entre envol et effraction. 


Nommé commissaire pour les départements méridionaux, Pons était chargé de paver la route impériale en mettant dans sa poche les derniers royalistes récalcitrants. Du côté de Marseille, ceux-ci furent peu convaincus par ses qualités de négociateur et le jetèrent au cachot comme un brigand. Condamné à être raccourci, Pons ne sauva sa tête que par l’ancienne amitié qui le liait au puissant franc-maçon Masséna, maréchal d’Empire rallié aux Bourbons… Lequel lui octroya un séjour protecteur à la prison du château d’If. Pons y ruminait en grillant des Montecristo mais sortit au bout de 35 jours pour rejoindre l’empereur à Paris. Après avoir refusé le ministère de la Marine, il est nommé à Lyon préfet du Rhône — une place stratégique — mais son affectation sera éphémère. Il l’inaugura pourtant par une proclamation qui fit opiner du bicorne un Napoléon captivé : « M. Pons est le seul préfet qui ait franchement dit ce qu’il fallait dire. »


De son côté, l’empereur n’aura de cesse de le consulter et de lui faire confiance. Son étalon favori allait y maintenir l’ordre comme jadis à Bandol, où il sut concilier discipline et humanité. Dix jours après Waterloo, le 28 juin 1815, il fit reconnaître à Lyon Napoléon ii, l’Aiglon proclamé successeur, dans un silence de plomb, par un père résigné. Ce fut le dernier jour napoléoniste de Pons. Mais c’était sans compter sur le retour inopiné de Louis xviii et de la Terreur Blanche. Il présida à l’entrée des Autrichiens dans Lyon, rédigea un message d’adieu aux Lyonnais, et continua à gérer les affaires courantes de la préfecture. On lui offrit de rester en fonction s’il adhérait au gouvernement royaliste. Il se retira, s’estimant lié à une cause renversée.


Pons de l’Hérault plaidera en vain auprès de Vienne l’autorisation de rejoindre Napoléon à Sainte-Hélène. Craignant des représailles de la Contre-Révolution, il regagne l’île d’Elbe où sa famille lambinait en l’attendant. Sa popularité n’eut aucun effet sur le nouveau gouverneur toscan de l’île. Devenu indésirable, il est fait prisonnier à Gênes en 1817 mais obtient que sa femme, malade, retourne en France. Elle s’installe dans le Var avec leurs filles. Lui entame une errance jusqu’à l’obtention d’un passeport familial pour Gênes en 1818. Ils y résident jusqu’en 1821 mais ses idées libérales le font expulser et il obtient un passeport pour Paris. Partout on l’accueille avec allégresse. Il n’y a qu’à Cette, où il ramène sa famille, qu’on l’ignore, arguant que toute démonstration en sa faveur pourrait chagriner le pouvoir. La ville hésitera longuement pour, en catimini et à l’ombre de son théâtre, dédier une petite rue à Pons de l’Hérault. En 1823, il s’installe à Paris et entreprend de rédiger ses mémoires, souvenirs et anecdotes comme il l’avait promis à l’empereur. Le héros de Pons avait fait d’Elbe une île aussi singulière que celle qui a vu naître son biographe. André Pons meurt à Paris le 3 mars 1853.

La trombine de Pons de l’Hérault cachait, sous une apparence de fonctionnaire plumitif, un serviteur de l’État d’une énergie et d’une puissance de travail prodigieuses. Durant les 400 jours — pour autant de coups — qui ont vu leurs destins liés, Pons ne ménagea aucun effort pour assiéger l’empereur et noter par le menu ses faits et gestes, petits et grands.

Le suffrage universel reconnaît le droit de vote à l’ensemble des citoyens, expression de la souveraineté populaire dans un régime démocratique. La Constitution de 1793    — qui ne sera pas appliquée en raison de la guerre et sera supprimée lors de la réaction thermidorienne — prévoyait pour la première fois le suffrage universel (ou plus adéquatement semi-universel car réservé aux hommes jusqu’en… 1944) et une démocratie directe.

Si le suffrage presqu’universel eut beaucoup de peine à naître, il allait en avoir bien davantage à vivre. Les diverses monarchies s’entêtaient à vouloir faire passer le plébiscite pour un suffrage universel. Ainsi, de 1815 à 1848, le peuple est totalement exclu du suffrage.

Pons, qui s'était opposé au coup d’État de Bonaparte — ce qui lui valut son éviction — finira sa vie en s’opposant à celui du neveu, en 1851, témoignant de la fidélité de ce petit fonctionnaire à ses idéaux de jeunesse. Il en fut d’ailleurs récompensé en 1848, lorsque la nouvelle République instaure pour la première fois le suffrage universel. Elle le reconnaît alors comme un de ses plus anciens ouvriers et lui offre un siège au conseil d’État. 

par Jean-Renaud Cuaz 29 novembre 2025
LES RENDEZ-VOUS CULTURELS DE DÉCEMBRE Rencontrer, voir, lire, écouter et ne rien rater dans les semaines à venir
par Jean-Renaud Cuaz 13 novembre 2025
De l’obscurité des music-halls à l’obscurantisme des mollah, des Parapluies de Cherbourg aux machettes de boucher, des Tontons flingueurs aux massacreurs du Bataclan… il n’aura fallu qu’une soixantaine d’années. Les justaucorps jacquard et chapeaux melon ont fait place aux amples cafetans et coiffures d’imam qui peinent à cacher le sang d’un islamofrérisme rampant et son faux frère, l’islamo-gauchisme. Il y a quatre-vingts ans, la guerre, lassée de tant de vacarme, s’en est allée finir ailleurs. Les ondes radiophoniques, jusque-là traumatisées par les sirènes, reprennent du service : elles décident de diffuser autre chose que des alertes. Le 26 mai 1945 , on cherche un quatuor vocal pour mettre un peu de facétie. Quatre jeunes gens se présentent, aussi dégingandés qu’enthousiastes. On leur demande leur nom : ils n’en ont pas. — Appelez-nous les Frères Quelque Chose , proposent-ils avec modestie. Un technicien, homme d’un grand sens du hasard, s’écrie Les Frères Jacques ! Et l’affaire est faite, aussi vite qu’un jeu de mots en goguette. Le nom fleure bon la chanson enfantine et la plaisanterie potache, parfait pour faire les pitres avec gravité. Ils chantent, gesticulent, font le Jacques avec l’élégance d’un sémaphore en délire. Un soir, entre deux refrains et trois nœuds papillon, ils croisent Francis Blanche, qui leur écrit des textes où l’intelligence fait des claquettes. Leur premier répertoire ? Un buffet à volonté : folklore, negro spirituals, chants religieux, le tout saupoudré de synchronisation labiale approximative. En 1948 sort leur premier 78 tours, à une époque où la musique tournait plus lentement et durait plus longtemps. Le succès vient, trébuchant mais poli, et c’est Jacques Canetti qui, tel un bon génie en complet sombre, les propulse dans la lumière des projecteurs. Les voilà chantant sur des ondes enfin réconciliées avec l’humanité. Le 3 janvier 1982, un drame national — que dis-je, cosmique — s’est joué au Théâtre de l’Ouest parisien : les Frères Jacques ont décidé d’arrêter de chanter. Les âmes sensibles ont aussitôt crié au scandale, les autres ont continué à mâcher leur cacahuète, car c’était un dimanche. À la fin du spectacle, quatre chapeaux comiques ont salué le public avant de disparaître dans les coulisses. On raconte qu’ils se sont séparés pour vaquer à leurs occupations. J’en ai interrogé un : il comptait élever des silences en batterie. Un autre envisageait d’ouvrir un magasin de chaussettes pour mains, parce que les gants, c’est surfait . Pendant ce temps, leur pianiste Pierre Philippe, brave homme à doigts multiples, a décidé en 1995 de donner son dernier concert... à Saint-Bouize. Lieu prédestiné, car Saint-Bouize, comme son nom l’indique, est la capitale mondiale du soupir discret. En 1996, au Casino de Paris, on leur rend hommage. Cinq-mille spectateurs émus, pas une seule caméra. C’est dire si la télévision sait se tenir. Elle préfère filmer des débats sur la cuisson du flan plutôt que la gloire des artistes. Les années filent ensuite comme des croches sans mesure. Jean-Denis Malclès, tailleur en habits d’humour, quitte ce monde en 2002. François Soubeyran le suit de près, sans doute pour vérifier les coutures de ses ailes. Puis les frères Bellec s’en vont, l’un après l’autre, avec une ponctualité presque suisse. Paul Tourenne, fidèle jusqu’à la dernière note, s’éclipse en 2016 à Montréal — preuve que même les Jacques ont besoin d’un peu d’exil pour mourir tranquilles. Enfin, Hubert Degex, le dernier pianiste, rend les touches en 2021, à 92 ans, après avoir sans doute trouvé une partition d’éternité en ré majeur.
 La Bibliothèque historique de la Ville de Paris conserve leurs chapeaux, leurs partitions et même leurs coupures de presse — tout ce qu’il faut pour organiser un sabbat érudit. Il ne manque que le son de leurs voix et le rire suspendu entre deux couplets. Leur répertoire, quant à lui, relève de la haute voltige intellectuelle : ils ont tout chanté, du général Castagnetas à la confiture , du Complexe de la truite (de Schubert) au derrière du peuple (voir La Digue du cul , œuvre d’intérêt public). Ils ont prouvé qu’on pouvait philosopher en collant des grimaces sur des vers de Prévert, et pleurer d’émotion tout en chantant des sottises. Ainsi s’achève cette chronique du souvenir. Les Frères Jacques ? Des poètes de velours à la boutonnière, des funambules du calembour, des anges qui savaient rimer avec dingue . Et s’ils nous entendent — là-haut, dans la stratosphère mélodique — qu’ils sachent une chose : le monde est bien triste depuis qu’il ne fait plus le Jacques.
par Jean-Renaud Cuaz 25 octobre 2025
LES RENDEZ-VOUS CULTURELS DE NOVEMBRE Rencontrer, voir, lire, écouter et ne rien rater dans les semaines à venir
par Jean-Renaud Cuaz 30 septembre 2025
LES RENDEZ-VOUS CULTURELS D’OCTOBRE Rencontrer, voir, lire, écouter et ne rien rater dans les semaines à venir
par Jean-Renaud Cuaz 24 septembre 2025
Fin septembre, les Automn’Halles lanceront leur 16e édition. Seize années qu’un pari un peu fou a pris vie : celui de faire vibrer une île singulière au rythme des mots, de la lecture, de la musique et de la peinture. Depuis quatre ans, la reconnaissance officielle du Centre National du Livre est venue confirmer ce que les Sétois savaient déjà : que ce festival a gagné sa place dans le paysage littéraire national. Des partenaires fidèles — le réseau des Médiathèques de l’Agglo, le musée Paul Valéry, les librairies, le Plateau, l’Amadeus et désormais la Maison Régionale de la Mer — apportent leurs sites, leurs énergies. Grâce à eux, la littérature s’installe partout, elle respire dans chaque recoin de la ville, elle s’offre au plus grand nombre. Durant cinq jours, les auteurs se disperseront comme autant de semeurs de songes. Dans les classes, pour éveiller les élèves à la puissance des mots. Dans les espaces de rencontre, pour échanger directement avec leurs lecteurs. Dans les dédicaces, pour ce moment simple et rare où une phrase manuscrite scelle un souvenir. Le programme est riche, multiple, ouvert. Il accueille des figures déjà consacrées, et des voix nouvelles qui montent, prometteuses et fragiles. Il fait place aux auteurs et éditeurs locaux et régionaux, car la littérature vit aussi des racines qui nourrissent son terreau. Il tend la main aux talents en herbe, avec son Concours de nouvelles. Pendant cinq jours, Sète se transforme en une île de papier et de voix, où chaque rencontre devient une aventure, chaque lecture un voyage, chaque instant une célébration. Nous dédions cette édition des Automn’Halles à un auteur que nous avons accueilli au Crac en 2022. Boualem Sansal est emprisonné depuis plus de dix mois par un pouvoir totalitaire. Condamné pour exercice illégal de… sa liberté de penser et d’écrire. En appel de sa condamnation le 24 juin dernier, l’écrivain âgé et malade lâchait devant un tribunal de façade : « La Constitution garantit la liberté d’expression et de conscience et pourtant je suis là » . Yves Izard animait la rencontre avec l’auteur de Abraham ou La Cinquième Alliance paru aux Éditions Gallimard en 2020. En charge avec une équipe des Automn’Halles des relations avec les écrivains et les éditeurs, Yves va vous dire quelques mots sur cette rencontre à laquelle certains d’entre vous ont assistée. Boualem a dû laissé une belle empreinte dans vos mémoires. Les Automn’Halles… Ce pourrait être un titre-valise inventé par Erik Satie pour une de ses mystérieuses pièces musicales. On entendrait presque dans nos halles, haranguer : mercredi je peux pas, j’ai gymnopédie ! La question que vous êtes en droit de vous poser, c’est… qu’ont donc en commun Erik Satie et la littérature? Outre le fait qu’Alfred Satie, son père, fut un temps éditeur… Noble métier, s’il en est… Je répondrai qu’après tout, nous recevons samedi Hubert Haddad, l’auteur de… la Symphonie atlantique . Pour le clou de ce festival, car Il faut toujours un clou dans un festival qui se respecte, j’hésite entre… Laurent Mauvignier, l’aspirant au Goncourt, et Michel Zambrano, le sauveteur aux ondes courtes… Lequel nous lira des inédits vendredi à bord de l’Amadeus. Laurent Mauvignier, lui, nous fera l’inventaire de la Maison vide à la Maison de la Mer lors du premier grand entretien demain. L’inventaire d’une maison vide, ça devrait être court me direz-vous… Mais comme c’est Laurent Cachard qui se charge de l’animer, vous en aurez pour votre argent, même si l’entrée est gratuite. C’est simple, les Éditions de Minuit ne jurent que par Mauvignier et ne changeraient pas un traitre-mot de leur auteur fétiche. Je rapprocherais Erik Sati de… Jules Verne, dont nous accueillons samedi l’arrière-petit-fils, Jean Verne, pour les 150 ans de la parution de l’Île mystérieuse . Erik Satie prétendait faire de la musique d’ameublement, allant jusqu’à l’assimiler à du papier peint musical. De là à parler de papier peint littéraire il n’y a qu’un lai à tourner, un pas que des érudits franchissent à propos de Jules Verne. On objectera qu’il y a des papiers peints qui font voyager. Mais je préfère laisser les exzézettes , comme on dit ici, s’exprimer. Pianiste-concertiste international et musicologue, Jean-Pierre Armengaud est également l’auteur d’une colossale biographie du compositeur de Parade , que vous pouvez vous procurer ici ou à la librairie Gavaudan. Jean-Pierre Armengaud va nous rythmer cette rencontre par des illustrations musicales de Satie jouées au piano. À ses côtés, Patrice Legay animera cette soirée. Patrice est musicien et préside l’AMA Languedoc, l’association des Musiciens Amateurs du Languedoc. L’AMA Languedoc animera ici même demain de 10h à 12h une Master Classe de Jean-Pierre Armengaud avec des œuvres de Satie jouées au piano et chantées. Puis à la Médiathèque Mitterrand… le concert Erik Satie vendredi de 18h à 19h30 et la clôture des Automn’Halles dimanche à 18h, un Clin d’œil à Satie par le groupe de jazz Les Smiles. Je terminerai par un précepte que je fais mien : « Je ne me reconnais pas le droit d’abuser des instants de mes contemporains » disait le plus littéraire des compositeurs, celui qu’Alphonse Allais appelait Esoterik Satie. Merci et belles Automn’Halles à toutes et à tous ! Jean-Renaud Cuaz Président du Festival du Livre de Sète – Les Automn’Halles
par Jean-Renaud Cuaz 29 août 2025
LES RENDEZ-VOUS CULTURELS DE SEPTEMBRE Rencontrer, voir, lire, écouter et ne rien rater dans les semaines à venir
par Jean-Renaud Cuaz 15 août 2025
L’auteur ouvre son Concours de pêche en le dédiant à son ami Toto Neige, à l’origine de ce roman, ainsi qu’à tous ces clochards célestes sans lesquels il manquerait quelque chose au monde . Dans les premières pages, Alex, le narrateur nous invite à le suivre le long d’un quai avec son enfant Jonas qui découvre sous un palmier une dalle avec inscrit « ici a vécu Jonas le pêcheur ». Le Jonas que j’ai connu était l’homme le plus gentil du monde , lui dit-il. Je vais même te dire un secret, c’est grâce à lui si tu t’appelles Jonas . Il lui fait alors la promesse de lui raconter l’histoire de Jonas le pêcheur, plus tard, quand il sera plus grand. L’histoire d’un miracle . Mis sous pression par son boss , Alex croule sous un gros dossier, une de ces tours géantes qu’on aperçoit en atterrissant à Charles-de-Gaulle imaginées pour des gens qui y vivent. Son travail d’architecte c’est de faire en sorte qu’ils y restent le plus longtemps possible . La vie parisienne l’assomme, une vie au milieu de fantômes cravatés, les cernes tirés jusque là, éteints comme des cierges consumés . Un soir qu’il manque l’arrêt de sa station de métro et finit le trajet à pied, il surprend sa compagne à la terrasse d’un restaurant, dans les bras d’un autre, dont elle s’extirpe par un guttural « désolé Alex ! » . Il venait de casser sa tire-lire pour un gros diamant, décidé à lui faire sa demande dans le mois. Cinq années de vie commune partent en sucette et s’en vont valdinguer sur le trottoir. Il reconnaît pourtant qu’elle l’a libéré d’un cachot où il s’était enfermé lui-même à double-tour, en jetant la clé par la fenêtre . Un coup de pouce du destin qui le fera plonger dans l’alcool et enjamber son balcon d’où il tombera… du bon côté. jusqu’à trouver la rédemption auprès d’un réconfort maternel et d’un miroir qui renvoie l’image hirsute d’ un drôle de type . Un amour perdu peut mener à ça, une sorte de clandestinité vis-à-vis de soi-même . Et une résolution, avant que s’ouvre le chapitre paternel, Je vais voir la mer, là où est papa . La disparition du père, parti pêcher seul en mer, est l’occasion pour l’auteur, et pour Jack London, de nous rappeler, que l’on peut partir à la manière de Martin Eden, dans un océan de désespoir qui prend fin quelque part dans les abysses intimes et sourdes . La veille de son ultime sortie en mer, il avait emmené son fils pêcher au phare de Roquerols sur l’étang de Thau (…) Ses yeux étaient mouillés comme la coque d’un bateau flottant à la dérive . À Sète, en pleines festivités de la Saint-Louis, Alex revient loger sous un toit du quai d’Orient, avec sous les yeux le croisement des canaux et des ponts, et le douloureux rappel d’un lointain bonheur familial. À une encablure de là, à la terrasse animée du Barbu (devenu depuis quelques semaines le Bar Muge) Alex fait l’apprentissage auprès d’une autochtone de quelques leçons de savoir-vivre sétois, c’est-à-dire sans savoir-vivre du tout, sinon la gentillesse du cœur , qui, au réveil s’avèrent être tarifées. Plus tard et sans le vouloir, Alex le Parigot se retrouve au beau milieu d’une partie de pêche le long du canal , découvrant à la fois la scène et les acteurs d’une comédie dramatique à la sétoise. Il aura beau faire valoir une naissance des plus locales, Auguste et ses comparses le traiteront comme il se doit en île singulière, un estranger , trahi par le manque d’accent d’ici-bas. À force d’invectives et de fanfaronnades, voilà Auguste qui met au défi le plus vieux d’entre eux, surnommé le Turc , d’accrocher une dorade royale de 5 kilos, pas un de moins, prenant le quai de la République et ses flâneurs à témoins. Le Concours est lancé. L’Ancien sortira de sa torpeur pour une ultime bravade. Pour son Concours de pêche , Loris Chavanette en appelle à l’auteur du Vieil homme et la mer , autant que du vieil homme et l’amertume, ce fil discret comme un goût salé qui persiste et révèle des valeurs hemingwayennes : La perte et la privation . Alex vit avec une blessure d’enfance qui ne s’est jamais refermée : la disparition en mer de son père. Ce vide n’est pas seulement une douleur, c’est aussi une forme d’amertume envers le destin — un sentiment que la vie a triché, qu’elle lui a pris quelque chose de fondamental avant qu’il ait pu se construire. Cette aigreur se renforce au moment de la rupture amoureuse, comme une perte réveille les précédentes. Les affres du temps perdu. Le roman nous dépeint un homme qui, en revenant à Sète, mesure la distance entre ce qu’il aurait pu vivre et ce qu’il vit. Ce constat donne un ton désabusé, teinté d’une mélancolie que semble incarner Jonas l’Ancien, objet de toutes les attentions et de tous les superlatifs. Le concours, en apparence anodin, devient le théâtre de cette confrontation au temps qui passe — un temps qui n’a pas toujours été bien employé, ou qui a filé sans laisser de traces heureuses. L’âpreté des vies cabossées. Jonas, le sans-abri, incarne une autre forme d’amertume : celle des coups reçus par la vie et qui finissent par former une carapace. Derrière son pari du briquet en or, il y a sans doute des pertes, des humiliations, et la nostalgie d’un passé révolu. Ce personnage fait écho à Alex, comme un miroir de ce qu’il aurait pu devenir. Enfin, une amertume adoucie par la rencontre. Même si le roman laisse planer ce goût amer, il ne s’y enferme pas. Les dialogues colorés, les situations cocasses, la tendresse qui se noue entre Alex et Jonas viennent diluer cette sensation. On pourrait dire que le roman n’est pas une plongée dans l’amertume, mais une t entative de la transformer — comme si le sel de la mer pouvait devenir saveur plutôt que blessure. Le Concours de pêche Loris Chavanette Allary Éditions (21 août 2025) Loris Chavanette, historien et romancier, présentera son roman samedi 23 août à 11h, à bord de l’Amadeus, amarré, comme il se doit, quai de la République. Il est l’auteur de La Fantasia (Albin Michel, 2020), prix Méditerranée du premier roman.
par Jean-Renaud Cuaz 28 juillet 2025
LES RENDEZ-VOUS CULTURELS D’AOÛT Rencontrer, voir, lire, écouter et ne rien rater dans les semaines à venir
par Jean-Renaud Cuaz 11 juillet 2025
L’ŒUVRE DU TEMPS Sète, le 10 juillet 2025 Je veux parler du temps de la destruction gratuite. Ici une affiche mémorielle, là un élan bienveillant pour la promotion de l’histoire locale. Certes, le temps fait son œuvre et nous assène à tous les temps que rien ne dure. Que des valeurs humaines partent à vau l’eau, entrainées par des rivalités internes, des convoitises parmi les plus funestes. Une société d’études historiques voit son Conseil d’administration, réduit comme peau de chagrin à quatre membres, voter l’exclusion d’un président pourtant soutenu par une communauté réduite au silence. Une présidence qui s’est efforcée pendant ces 18 mois de monter avec son équipe de beaux projets. Un vote couperet avant que ne soit proposé l’élargissement du Conseil et du Bureau afin de donner plus de voix aux membres de la Sehsser. Ce déploiement n’a pu se faire, ces nouvelles voix ne pourront se faire entendre. L’ancien président qui a mené l’accusation et les arguments à charge, montre par là qu’il n’a jamais voulu céder les reines à une nouvelle gouvernance plus ouverte et déployée, à l’image des affiches exposées dans nos rues pour les 80 ans de la libération de notre île décidément bien singulière. Jean-Renaud Cuaz, Président de la Sehsser 2024-2025
par Jean-Renaud Cuaz 27 juin 2025
LES RENDEZ-VOUS CULTURELS DE JUILLET Rencontrer, voir, lire, écouter et ne rien rater dans les semaines à venir
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