Alors qu’avec Jean Dumas, disparaît une éclectique figure de la culture et des arts, notre ville célèbre un poète qui tenait le haut du rayonnage dans sa librairie Racine. Paul Valéry, né voici cent cinquante ans sur son île singulière, emboîte le pas d’un non moins glorieux barde sétois, Georges Brassens, dont nous clôturons le centenaire à tombeau ouvert.

Outre une accointance avec la muse de la poésie et une perpétuelle moustache, les deux rimeurs avaient une mère d’origine italienne, filiation routinière à Sète. Aristocrate génoise et fille de consul pour l’académicien, matrone bigote du fond de la botte ritale pour le poète-interprète. Cette distinction géographique fut certainement à l’origine de deux parcours diamétralement opposés. L’un grandira parmi les protocoles et les grands auteurs, l’autre sera abreuvé de ritournelles et de chansonniers.

La vie de l’auteur du Cimetière marin aurait pu être écourtée. Alors que sa nourrice se laissait conter fleurette sur un banc dans le jardin public du château vert, le chérubin âgé de 3 ans faillit se noyer dans le bassin de Neptune. Il sut par la suite canaliser sa « folie de l’eau » par des dessins et aquarelles du port en rêvant d’une carrière maritime. Paul Valéry commença ses études chez les dominicains, puis au collège de Sète et au lycée de Montpellier. Ses premiers vers furent naturellement publiés par la Revue maritime de Marseille alors qu’il venait de s’inscrire en 1889 à la faculté de Droit de Montpellier après avoir renoncé à préparer l’École navale.

C’est dans son autre port d’attache, à Gêne, que Paul Valéry fut victime, dans la nuit du 4 au 5 octobre 1892, d’une épiphanie intellectuelle. Une crise existentielle et sentimentale à l’origine de ses cahiers de l’esprit, dans lesquels il jeta prosaïquement les jalons d’un semblant d’œuvre, sobrement consacrée à la réflexion et aux idées. Il indiquait souvent qu'il considérait cette nuit passée à Gênes comme sa véritable naissance.

Ses génoiseries inaugurent une vie de penseur invétéré et feront taire sa voix poétique pendant près de vingt ans. Il plonge ses réflexions, écrites aux premières heures du jour, dans pas moins de 258 cahiers qui ne seront publiés qu’après sa mort. L’évolution de sa conscience et de ses rapports au temps, au rêve et au langage, y sera quotidiennement consignée et illustrée de dessins et aquarelles. Il avouera que « les mêmes questions depuis 43 ans broutent le pré de [son] cerveau ».

Un coup de dés jamais n’abolissant le hasard, c’est à la faveur d'un banquet à Palavas en 1890 que Valéry noue ses premières relations d’écrivain. Il y fait la connaissance de Pierre Louÿs, poète symboliste, qui le met en relation avec André Gide, que Valéry rencontrera la même année. Une accointance épistolaire s’établira avec Stéphane Mallarmé, à qui il demande conseil. « Seule en donne la solitude », lui répond le maître de l’avant-garde poétique. 

Requinqué par cet exaltant précepte, Paul Valéry épouse en 1900 Jeannie Gobillard, dont il aura trois enfants. « Toute la famille peignait. Peignait dedans, peignait dehors, peignait partout et à toute heure. C’était effrayant ! », racontait Agathe, la fille du poète. Cette famille était celle fondée par le couple Valéry, la sœur de Jeannie, Paule Gobillard, et leur cousine Julie Manet. Toute une tribu artistique vivant dans un immeuble aux murs tapissés de tableaux et construit par les parents de Julie, Berthe Morisot et Eugène Manet, frère d’Édouard Manet.

Ce n’est qu’en 1917 que Valéry, sous l’influence de Gide notamment, s’entiche à nouveau de la muse poétique. Avec la publication de La Jeune Parque, dont le succès immédiat annonçait celui des autres grands poèmes : Le Cimetière marin en 1920, et les recueils poétiques, réunis dans Charmes, en 1922, influencés par Mallarmé. Sur le Cimetière marin, il disait : « c’est à peu près le seul poème où j’ai mis quelque chose de ma vie ». L’auteur privilégiait toujours dans sa poésie la maîtrise formelle sur le sens et l'inspiration. « Mes vers ont le sens qu'on leur prête », un choix qui s’exprime en particulier dans ce tercet :
Cette main, sur mes traits qu'elle rêve effleurer

Distraitement docile à quelque fin profonde,

Attend de ma faiblesse une larme qui fonde.

Dans le troisième vers, le dernier verbe suscita une fiévreuse controverse sur sa nature : fonder ou fondre. Deux confréries dès lors s’affrontèrent : les fondards et les fondusards. Cent ans plus tard, le gouffre demeure. Au même instant, deux autres communautés s’opposèrent, les dreyfusards et les anti-dreyfusards. Une enfance nationaliste lui avait fait choisir le camp des seconds. Fort heureusement, refusant de collaborer avec l’occupant, il rallia plus tard celui des premiers. Le point d’orgue restera un éloge funèbre de Henri Bergson, discours qui fut salué comme un acte de courage et de résistance. Ironie du sort, alors que s’ouvrait, dans la France libérée, le procès Pétain, le barde passait la lyre à gauche.

Son doigt sur la couture de l’habit d’académicien lui fera écrire, dubitatif devant un tableau de Picasso : « il y a dans cet art quelque chose de certainement neuf. Mais quoi ? » Il fut tout autant indifférent à Bonnard et Matisse. Mais il abhorrait également chez ses contemporains le philosophe et le politique, considérant le premier « plus un habile sophiste, manieur de concepts, qu'un artisan au service du Savoir comme l'est le scientifique ». Quant au second, il proposa cette intuition fulgurante sur la politique : « l’art d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde ». Une prémonition qui confère à ce classique une saisissante modernité, ayant pressenti les défaillances et les dérives de notre époque.

Paul Valéry aura droit à des funérailles nationales, les premières pour un écrivain depuis Victor Hugo. La cérémonie se déroule au palais de Chaillot dont le théâtre sera dirigé quelques années plus tard par Jean Vilar. Le fronton du palais du Trocadéro arborait quatre inscriptions en lettres dorées d’un auteur devenu incontournable après son discours de 1919 sur l’avenir de la civilisation européenne. Ces citations lui avaient été commandées pour l’Exposition universelle de 1937 et réalisées dans une police de caractère, le Peignot, créée conjointement par l’affichiste et créateur typographique Cassandre. Elles ont la particularité d’être parsemées de points suspendus entre chaque mot, un caprice issu de la gravure lapidaire romaine. Quelles mouches ont donc piqué le commissaire de l’exposition, au point de le voir poinçonner les lignes avec une régularité que l’on ne retrouvait alors qu’aux entrées du métro parisien ?

Aile Paris, Cité de l'architecture et du patrimoine, vers la tour Eiffel :

TOUT • HOMME • CRÉE • SANS • LE • SAVOIR

COMME • IL • RESPIRE

MAIS • L’ARTISTE • SE • SENT • CRÉER

SON • ACTE • ENGAGE • TOUT • SON • ÊTRE

SA • PEINE • BIEN-AIMÉE • LE • FORTIFIE


Vers la place du Trocadéro :

DANS • CES • MURS • VOUÉS • AUX • MERVEILLES


J’ACCUEILLE • ET • GARDE • LES • OUVRAGES


DE • LA • MAIN • PRODIGIEUSE • DE • L’ARTISTE


ÉGALE • ET • RIVALE • DE • SA • PENSÉE


L’UNE • N’EST • RIEN • SANS • L’AUTRE


Aile Passy, musée de l'Homme, vers la tour Eiffel :

IL • DÉPEND • DE • CELUI • QUI • PASSE


QUE • JE • SOIS • TOMBE • OU • TRÉSOR


QUE • JE • PARLE • OU • ME • TAISE


CECI • NE • TIENT • QU’À • TOI


AMI • N’ENTRE • PAS • SANS • DÉSIR


Vers la place du Trocadéro :

CHOSES • RARES • OU • CHOSES • BELLES


ICI • SAVAMMENT • ASSEMBLÉES


INSTRUISENT • L’ŒIL • À • REGARDER


COMME • JAMAIS • ENCORE • VUES


TOUTES • CHOSES • QUI • SONT • AU • MONDE


Ce soir de juillet 1945, deux projecteurs au pied de la tour Eiffel déployèrent par leurs faisceaux un immense et majestueux V dans le ciel. L’initiale de Valéry mêlée au V de la victoire offrait au lendemain de la libération un lumineux symbole national de la résistance des armes et des lettres au nazisme. Commandeur de la Légion d'honneur, Valéry reçut les honneurs militaires. Une foule recueillie défila devant le cercueil placé sur un catafalque tricolore et veillé par des étudiants. La cérémonie s'acheva à Sète, trois jours plus tard, avec l'inhumation du poète dans le caveau familial du cimetière Saint-Charles, qui prendra peu après le nom de cimetière marin. L’épitaphe sera pêchée dans le poème qui rendit célèbre la nécropole face à la mer :

O Récompense après une pensée

Qu'un long regard sur le calme des dieux.


Impatiente de rappeler à notre bon souvenir son cher académicien, notre cité, la cuistre, se retroussa les manches. Sa maison natale ayant été réduite, comme un pied de nez à la mémoire, à l’état de gravats, elle s’empressa de rebaptiser une rue montant vers le collège où il étudia et devenu lycée Paul Valéry. Son cimetière surplombant la Grande bleue fut renommé en grande pompe à peine le caveau refermé. Enfin, chapeautant celui-ci, on inaugura un musée éponyme à l’occasion de son centenaire pour y accueillir un fonds issu d’une veuve reconnaissante. À ce jour, le mont Saint-Clair devrait conserver son patronyme, à la fureur des promoteurs d'un mont Valéryen méridional. Le bon maître dépasse ainsi d’une courte tête l’auteur de la Supplique pour être enterré à la plage de Sète qui ne compte qu’une rue, une digue, un espace-musée et une salle nomade…


Une  inscription lapidaire résume, à elle seule et sur quatre lignes, la vénérable existence de l’homme de lettres. Si son auteur demeure à ce jour anonyme, elle n’en domine pas moins, de son insolente limpidité, le quai de la Marine qu’enfant, il croquait d’un coup de crayon. Les passants d’aujourd’hui peuvent y lire, dans une langue épurée et une forme faisant écho au célèbre escalier de la Caravelle de Gêne où, dans ce parc, le jeune poète aimait gamberger plutôt que gambader :

ICI 

EST NÉ 

PAUL VALÉRY 

LE 30 OCTOBRE 1871

par Jean-Renaud Cuaz 29 novembre 2025
LES RENDEZ-VOUS CULTURELS DE DÉCEMBRE Rencontrer, voir, lire, écouter et ne rien rater dans les semaines à venir
par Jean-Renaud Cuaz 13 novembre 2025
De l’obscurité des music-halls à l’obscurantisme des mollah, des Parapluies de Cherbourg aux machettes de boucher, des Tontons flingueurs aux massacreurs du Bataclan… il n’aura fallu qu’une soixantaine d’années. Les justaucorps jacquard et chapeaux melon ont fait place aux amples cafetans et coiffures d’imam qui peinent à cacher le sang d’un islamofrérisme rampant et son faux frère, l’islamo-gauchisme. Il y a quatre-vingts ans, la guerre, lassée de tant de vacarme, s’en est allée finir ailleurs. Les ondes radiophoniques, jusque-là traumatisées par les sirènes, reprennent du service : elles décident de diffuser autre chose que des alertes. Le 26 mai 1945 , on cherche un quatuor vocal pour mettre un peu de facétie. Quatre jeunes gens se présentent, aussi dégingandés qu’enthousiastes. On leur demande leur nom : ils n’en ont pas. — Appelez-nous les Frères Quelque Chose , proposent-ils avec modestie. Un technicien, homme d’un grand sens du hasard, s’écrie Les Frères Jacques ! Et l’affaire est faite, aussi vite qu’un jeu de mots en goguette. Le nom fleure bon la chanson enfantine et la plaisanterie potache, parfait pour faire les pitres avec gravité. Ils chantent, gesticulent, font le Jacques avec l’élégance d’un sémaphore en délire. Un soir, entre deux refrains et trois nœuds papillon, ils croisent Francis Blanche, qui leur écrit des textes où l’intelligence fait des claquettes. Leur premier répertoire ? Un buffet à volonté : folklore, negro spirituals, chants religieux, le tout saupoudré de synchronisation labiale approximative. En 1948 sort leur premier 78 tours, à une époque où la musique tournait plus lentement et durait plus longtemps. Le succès vient, trébuchant mais poli, et c’est Jacques Canetti qui, tel un bon génie en complet sombre, les propulse dans la lumière des projecteurs. Les voilà chantant sur des ondes enfin réconciliées avec l’humanité. Le 3 janvier 1982, un drame national — que dis-je, cosmique — s’est joué au Théâtre de l’Ouest parisien : les Frères Jacques ont décidé d’arrêter de chanter. Les âmes sensibles ont aussitôt crié au scandale, les autres ont continué à mâcher leur cacahuète, car c’était un dimanche. À la fin du spectacle, quatre chapeaux comiques ont salué le public avant de disparaître dans les coulisses. On raconte qu’ils se sont séparés pour vaquer à leurs occupations. J’en ai interrogé un : il comptait élever des silences en batterie. Un autre envisageait d’ouvrir un magasin de chaussettes pour mains, parce que les gants, c’est surfait . Pendant ce temps, leur pianiste Pierre Philippe, brave homme à doigts multiples, a décidé en 1995 de donner son dernier concert... à Saint-Bouize. Lieu prédestiné, car Saint-Bouize, comme son nom l’indique, est la capitale mondiale du soupir discret. En 1996, au Casino de Paris, on leur rend hommage. Cinq-mille spectateurs émus, pas une seule caméra. C’est dire si la télévision sait se tenir. Elle préfère filmer des débats sur la cuisson du flan plutôt que la gloire des artistes. Les années filent ensuite comme des croches sans mesure. Jean-Denis Malclès, tailleur en habits d’humour, quitte ce monde en 2002. François Soubeyran le suit de près, sans doute pour vérifier les coutures de ses ailes. Puis les frères Bellec s’en vont, l’un après l’autre, avec une ponctualité presque suisse. Paul Tourenne, fidèle jusqu’à la dernière note, s’éclipse en 2016 à Montréal — preuve que même les Jacques ont besoin d’un peu d’exil pour mourir tranquilles. Enfin, Hubert Degex, le dernier pianiste, rend les touches en 2021, à 92 ans, après avoir sans doute trouvé une partition d’éternité en ré majeur.
 La Bibliothèque historique de la Ville de Paris conserve leurs chapeaux, leurs partitions et même leurs coupures de presse — tout ce qu’il faut pour organiser un sabbat érudit. Il ne manque que le son de leurs voix et le rire suspendu entre deux couplets. Leur répertoire, quant à lui, relève de la haute voltige intellectuelle : ils ont tout chanté, du général Castagnetas à la confiture , du Complexe de la truite (de Schubert) au derrière du peuple (voir La Digue du cul , œuvre d’intérêt public). Ils ont prouvé qu’on pouvait philosopher en collant des grimaces sur des vers de Prévert, et pleurer d’émotion tout en chantant des sottises. Ainsi s’achève cette chronique du souvenir. Les Frères Jacques ? Des poètes de velours à la boutonnière, des funambules du calembour, des anges qui savaient rimer avec dingue . Et s’ils nous entendent — là-haut, dans la stratosphère mélodique — qu’ils sachent une chose : le monde est bien triste depuis qu’il ne fait plus le Jacques.
par Jean-Renaud Cuaz 25 octobre 2025
LES RENDEZ-VOUS CULTURELS DE NOVEMBRE Rencontrer, voir, lire, écouter et ne rien rater dans les semaines à venir
par Jean-Renaud Cuaz 30 septembre 2025
LES RENDEZ-VOUS CULTURELS D’OCTOBRE Rencontrer, voir, lire, écouter et ne rien rater dans les semaines à venir
par Jean-Renaud Cuaz 24 septembre 2025
Fin septembre, les Automn’Halles lanceront leur 16e édition. Seize années qu’un pari un peu fou a pris vie : celui de faire vibrer une île singulière au rythme des mots, de la lecture, de la musique et de la peinture. Depuis quatre ans, la reconnaissance officielle du Centre National du Livre est venue confirmer ce que les Sétois savaient déjà : que ce festival a gagné sa place dans le paysage littéraire national. Des partenaires fidèles — le réseau des Médiathèques de l’Agglo, le musée Paul Valéry, les librairies, le Plateau, l’Amadeus et désormais la Maison Régionale de la Mer — apportent leurs sites, leurs énergies. Grâce à eux, la littérature s’installe partout, elle respire dans chaque recoin de la ville, elle s’offre au plus grand nombre. Durant cinq jours, les auteurs se disperseront comme autant de semeurs de songes. Dans les classes, pour éveiller les élèves à la puissance des mots. Dans les espaces de rencontre, pour échanger directement avec leurs lecteurs. Dans les dédicaces, pour ce moment simple et rare où une phrase manuscrite scelle un souvenir. Le programme est riche, multiple, ouvert. Il accueille des figures déjà consacrées, et des voix nouvelles qui montent, prometteuses et fragiles. Il fait place aux auteurs et éditeurs locaux et régionaux, car la littérature vit aussi des racines qui nourrissent son terreau. Il tend la main aux talents en herbe, avec son Concours de nouvelles. Pendant cinq jours, Sète se transforme en une île de papier et de voix, où chaque rencontre devient une aventure, chaque lecture un voyage, chaque instant une célébration. Nous dédions cette édition des Automn’Halles à un auteur que nous avons accueilli au Crac en 2022. Boualem Sansal est emprisonné depuis plus de dix mois par un pouvoir totalitaire. Condamné pour exercice illégal de… sa liberté de penser et d’écrire. En appel de sa condamnation le 24 juin dernier, l’écrivain âgé et malade lâchait devant un tribunal de façade : « La Constitution garantit la liberté d’expression et de conscience et pourtant je suis là » . Yves Izard animait la rencontre avec l’auteur de Abraham ou La Cinquième Alliance paru aux Éditions Gallimard en 2020. En charge avec une équipe des Automn’Halles des relations avec les écrivains et les éditeurs, Yves va vous dire quelques mots sur cette rencontre à laquelle certains d’entre vous ont assistée. Boualem a dû laissé une belle empreinte dans vos mémoires. Les Automn’Halles… Ce pourrait être un titre-valise inventé par Erik Satie pour une de ses mystérieuses pièces musicales. On entendrait presque dans nos halles, haranguer : mercredi je peux pas, j’ai gymnopédie ! La question que vous êtes en droit de vous poser, c’est… qu’ont donc en commun Erik Satie et la littérature? Outre le fait qu’Alfred Satie, son père, fut un temps éditeur… Noble métier, s’il en est… Je répondrai qu’après tout, nous recevons samedi Hubert Haddad, l’auteur de… la Symphonie atlantique . Pour le clou de ce festival, car Il faut toujours un clou dans un festival qui se respecte, j’hésite entre… Laurent Mauvignier, l’aspirant au Goncourt, et Michel Zambrano, le sauveteur aux ondes courtes… Lequel nous lira des inédits vendredi à bord de l’Amadeus. Laurent Mauvignier, lui, nous fera l’inventaire de la Maison vide à la Maison de la Mer lors du premier grand entretien demain. L’inventaire d’une maison vide, ça devrait être court me direz-vous… Mais comme c’est Laurent Cachard qui se charge de l’animer, vous en aurez pour votre argent, même si l’entrée est gratuite. C’est simple, les Éditions de Minuit ne jurent que par Mauvignier et ne changeraient pas un traitre-mot de leur auteur fétiche. Je rapprocherais Erik Sati de… Jules Verne, dont nous accueillons samedi l’arrière-petit-fils, Jean Verne, pour les 150 ans de la parution de l’Île mystérieuse . Erik Satie prétendait faire de la musique d’ameublement, allant jusqu’à l’assimiler à du papier peint musical. De là à parler de papier peint littéraire il n’y a qu’un lai à tourner, un pas que des érudits franchissent à propos de Jules Verne. On objectera qu’il y a des papiers peints qui font voyager. Mais je préfère laisser les exzézettes , comme on dit ici, s’exprimer. Pianiste-concertiste international et musicologue, Jean-Pierre Armengaud est également l’auteur d’une colossale biographie du compositeur de Parade , que vous pouvez vous procurer ici ou à la librairie Gavaudan. Jean-Pierre Armengaud va nous rythmer cette rencontre par des illustrations musicales de Satie jouées au piano. À ses côtés, Patrice Legay animera cette soirée. Patrice est musicien et préside l’AMA Languedoc, l’association des Musiciens Amateurs du Languedoc. L’AMA Languedoc animera ici même demain de 10h à 12h une Master Classe de Jean-Pierre Armengaud avec des œuvres de Satie jouées au piano et chantées. Puis à la Médiathèque Mitterrand… le concert Erik Satie vendredi de 18h à 19h30 et la clôture des Automn’Halles dimanche à 18h, un Clin d’œil à Satie par le groupe de jazz Les Smiles. Je terminerai par un précepte que je fais mien : « Je ne me reconnais pas le droit d’abuser des instants de mes contemporains » disait le plus littéraire des compositeurs, celui qu’Alphonse Allais appelait Esoterik Satie. Merci et belles Automn’Halles à toutes et à tous ! Jean-Renaud Cuaz Président du Festival du Livre de Sète – Les Automn’Halles
par Jean-Renaud Cuaz 29 août 2025
LES RENDEZ-VOUS CULTURELS DE SEPTEMBRE Rencontrer, voir, lire, écouter et ne rien rater dans les semaines à venir
par Jean-Renaud Cuaz 15 août 2025
L’auteur ouvre son Concours de pêche en le dédiant à son ami Toto Neige, à l’origine de ce roman, ainsi qu’à tous ces clochards célestes sans lesquels il manquerait quelque chose au monde . Dans les premières pages, Alex, le narrateur nous invite à le suivre le long d’un quai avec son enfant Jonas qui découvre sous un palmier une dalle avec inscrit « ici a vécu Jonas le pêcheur ». Le Jonas que j’ai connu était l’homme le plus gentil du monde , lui dit-il. Je vais même te dire un secret, c’est grâce à lui si tu t’appelles Jonas . Il lui fait alors la promesse de lui raconter l’histoire de Jonas le pêcheur, plus tard, quand il sera plus grand. L’histoire d’un miracle . Mis sous pression par son boss , Alex croule sous un gros dossier, une de ces tours géantes qu’on aperçoit en atterrissant à Charles-de-Gaulle imaginées pour des gens qui y vivent. Son travail d’architecte c’est de faire en sorte qu’ils y restent le plus longtemps possible . La vie parisienne l’assomme, une vie au milieu de fantômes cravatés, les cernes tirés jusque là, éteints comme des cierges consumés . Un soir qu’il manque l’arrêt de sa station de métro et finit le trajet à pied, il surprend sa compagne à la terrasse d’un restaurant, dans les bras d’un autre, dont elle s’extirpe par un guttural « désolé Alex ! » . Il venait de casser sa tire-lire pour un gros diamant, décidé à lui faire sa demande dans le mois. Cinq années de vie commune partent en sucette et s’en vont valdinguer sur le trottoir. Il reconnaît pourtant qu’elle l’a libéré d’un cachot où il s’était enfermé lui-même à double-tour, en jetant la clé par la fenêtre . Un coup de pouce du destin qui le fera plonger dans l’alcool et enjamber son balcon d’où il tombera… du bon côté. jusqu’à trouver la rédemption auprès d’un réconfort maternel et d’un miroir qui renvoie l’image hirsute d’ un drôle de type . Un amour perdu peut mener à ça, une sorte de clandestinité vis-à-vis de soi-même . Et une résolution, avant que s’ouvre le chapitre paternel, Je vais voir la mer, là où est papa . La disparition du père, parti pêcher seul en mer, est l’occasion pour l’auteur, et pour Jack London, de nous rappeler, que l’on peut partir à la manière de Martin Eden, dans un océan de désespoir qui prend fin quelque part dans les abysses intimes et sourdes . La veille de son ultime sortie en mer, il avait emmené son fils pêcher au phare de Roquerols sur l’étang de Thau (…) Ses yeux étaient mouillés comme la coque d’un bateau flottant à la dérive . À Sète, en pleines festivités de la Saint-Louis, Alex revient loger sous un toit du quai d’Orient, avec sous les yeux le croisement des canaux et des ponts, et le douloureux rappel d’un lointain bonheur familial. À une encablure de là, à la terrasse animée du Barbu (devenu depuis quelques semaines le Bar Muge) Alex fait l’apprentissage auprès d’une autochtone de quelques leçons de savoir-vivre sétois, c’est-à-dire sans savoir-vivre du tout, sinon la gentillesse du cœur , qui, au réveil s’avèrent être tarifées. Plus tard et sans le vouloir, Alex le Parigot se retrouve au beau milieu d’une partie de pêche le long du canal , découvrant à la fois la scène et les acteurs d’une comédie dramatique à la sétoise. Il aura beau faire valoir une naissance des plus locales, Auguste et ses comparses le traiteront comme il se doit en île singulière, un estranger , trahi par le manque d’accent d’ici-bas. À force d’invectives et de fanfaronnades, voilà Auguste qui met au défi le plus vieux d’entre eux, surnommé le Turc , d’accrocher une dorade royale de 5 kilos, pas un de moins, prenant le quai de la République et ses flâneurs à témoins. Le Concours est lancé. L’Ancien sortira de sa torpeur pour une ultime bravade. Pour son Concours de pêche , Loris Chavanette en appelle à l’auteur du Vieil homme et la mer , autant que du vieil homme et l’amertume, ce fil discret comme un goût salé qui persiste et révèle des valeurs hemingwayennes : La perte et la privation . Alex vit avec une blessure d’enfance qui ne s’est jamais refermée : la disparition en mer de son père. Ce vide n’est pas seulement une douleur, c’est aussi une forme d’amertume envers le destin — un sentiment que la vie a triché, qu’elle lui a pris quelque chose de fondamental avant qu’il ait pu se construire. Cette aigreur se renforce au moment de la rupture amoureuse, comme une perte réveille les précédentes. Les affres du temps perdu. Le roman nous dépeint un homme qui, en revenant à Sète, mesure la distance entre ce qu’il aurait pu vivre et ce qu’il vit. Ce constat donne un ton désabusé, teinté d’une mélancolie que semble incarner Jonas l’Ancien, objet de toutes les attentions et de tous les superlatifs. Le concours, en apparence anodin, devient le théâtre de cette confrontation au temps qui passe — un temps qui n’a pas toujours été bien employé, ou qui a filé sans laisser de traces heureuses. L’âpreté des vies cabossées. Jonas, le sans-abri, incarne une autre forme d’amertume : celle des coups reçus par la vie et qui finissent par former une carapace. Derrière son pari du briquet en or, il y a sans doute des pertes, des humiliations, et la nostalgie d’un passé révolu. Ce personnage fait écho à Alex, comme un miroir de ce qu’il aurait pu devenir. Enfin, une amertume adoucie par la rencontre. Même si le roman laisse planer ce goût amer, il ne s’y enferme pas. Les dialogues colorés, les situations cocasses, la tendresse qui se noue entre Alex et Jonas viennent diluer cette sensation. On pourrait dire que le roman n’est pas une plongée dans l’amertume, mais une t entative de la transformer — comme si le sel de la mer pouvait devenir saveur plutôt que blessure. Le Concours de pêche Loris Chavanette Allary Éditions (21 août 2025) Loris Chavanette, historien et romancier, présentera son roman samedi 23 août à 11h, à bord de l’Amadeus, amarré, comme il se doit, quai de la République. Il est l’auteur de La Fantasia (Albin Michel, 2020), prix Méditerranée du premier roman.
par Jean-Renaud Cuaz 28 juillet 2025
LES RENDEZ-VOUS CULTURELS D’AOÛT Rencontrer, voir, lire, écouter et ne rien rater dans les semaines à venir
par Jean-Renaud Cuaz 11 juillet 2025
L’ŒUVRE DU TEMPS Sète, le 10 juillet 2025 Je veux parler du temps de la destruction gratuite. Ici une affiche mémorielle, là un élan bienveillant pour la promotion de l’histoire locale. Certes, le temps fait son œuvre et nous assène à tous les temps que rien ne dure. Que des valeurs humaines partent à vau l’eau, entrainées par des rivalités internes, des convoitises parmi les plus funestes. Une société d’études historiques voit son Conseil d’administration, réduit comme peau de chagrin à quatre membres, voter l’exclusion d’un président pourtant soutenu par une communauté réduite au silence. Une présidence qui s’est efforcée pendant ces 18 mois de monter avec son équipe de beaux projets. Un vote couperet avant que ne soit proposé l’élargissement du Conseil et du Bureau afin de donner plus de voix aux membres de la Sehsser. Ce déploiement n’a pu se faire, ces nouvelles voix ne pourront se faire entendre. L’ancien président qui a mené l’accusation et les arguments à charge, montre par là qu’il n’a jamais voulu céder les reines à une nouvelle gouvernance plus ouverte et déployée, à l’image des affiches exposées dans nos rues pour les 80 ans de la libération de notre île décidément bien singulière. Jean-Renaud Cuaz, Président de la Sehsser 2024-2025
par Jean-Renaud Cuaz 27 juin 2025
LES RENDEZ-VOUS CULTURELS DE JUILLET Rencontrer, voir, lire, écouter et ne rien rater dans les semaines à venir
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