Il est né, coquin de sort, jour pour jour, 100 ans avant son centenaire ! Cette coïncidence ne nous ayant pas échappée, il s’agissait d’en profiter pour célébrer à notre manière la vie et l’œuvre du poète turlupin à travers un retour insouciant sur la première, et une écoute insatiable de la seconde.

En Bavière, l’été 1921 décochait des souffles courts et vifs sur les roseaux des marais alentours. Les vieux chênes et les saules froissaient leurs feuilles de zinc. On entendait l’étirement de l’herbe qui se redressait, le fouettement irrégulier du jonc… La pie terminait sa dernière dispute sur son arbre, une corne de lune se levait. Les lumières s’allument aux fenêtres, une à une, pour la choucroute du soir. Des voix inquiètes s’interpellent d’une chaumière à l’autre. Le dernier aboiement d’un dogue sentinelle, puis le silence… Alors qu’un corbeau frôlait de l’aile un poteau télégraphique, à Munich, Hitler prenait la présidence du parti nazi bavarois.

À Sète, qui s’écrivait alors avec un sémillant C et deux t d’oreiller, l’été avait achevé de tanner les peaux indolentes. Alors que l’automne délivrait ses premières soirées fraiches, Elvira Brassens donnait naissance à un petit garçon. Le premier geste du bambino aurait été, selon les quelques témoins présents, de faire demi-tour, craignant de voir une vague brune s’abattre sur l’Europe. Un premier réflexe libertaire qui sera suivi de nombreux autres.

Au même moment, aux quatre coins du globe, de fringants partis nationalistes et communistes sortaient de terre gaillards et enjoués. Rien ne semblait préfigurer les grandes hécatombes, fascistes, bolcheviques et maoïstes qui allaient suivre. « Mourons pour des idées, d’accord, mais de mort violente » semblait être le leitmotiv des idéologues de tous bords.

Le jeune Brassens fit ses premières armes de rebelle sans gnose lors de castagnes entre quartiers sétois. Son bataillon de la Caraussane taillait périodiquement de fieffées croupières à celui du Quartier Haut qui y retournait tête basse. En bon guérillero, il n’hésitait pas à recourir à de petits larcins alentour qui lui valurent un bannissement familial. Les petits comptables se plaisent ici à révéler sans vergogne le nombre exact de mois de sursis écopés. Que ces folliculaires et leurs harangues soient pardonnés.

Quelques carnets de rimes en poche, la tête pleine de rengaines et de ritournelles, le jeune Brassens gagnait la capitale sans craindre d’y perdre son âme. La vie de bohème lui tendait des bras certes rabougris mais ils lui chaufferont le corps à la manière d'un feu de joie. Et le jeune poète ne tarda pas, du haut de sa Tour des miracles, à livrer, À la venvole, Des coups d’épée dans l’eau.

Par la suite, son sang d’anarchiste ne fit qu’un demi-tour quand des nazillons, remontés comme des coucous ariens par leur parti national-socialiste, décidèrent de mettre l’Europe sens dessus dessous. Quasiment du jour au lendemain, Paris s’écrivit en lettres gothiques, alors que notre poète ne pratiquait que la cursive. Cette inconvenance le fera rejoindre le S.T.O. pour éviter que sa poésie ne souffre d’une fraktur.

La plus stupide de toutes les guerres, celle de 14-18, était alors dans les têtes qui ont refusé de se jeter corps et armes dans la suivante. L’hécatombe de la Der des Ders a-t-elle suggéré à cette génération de remettre une salve à demain ? Nombreux étaient ceux qui, comme Brassens, se dressaient contre toutes les formes de faiseuses de veuves. Ne lui jetons pas la pierre, il était derrière les veuves de guerre. Elvira elle-même était du nombre, avant de se remarier à Jean-Louis Brassens, le père de Georges. C’est la seul fois que l’on peut nasiller un « Danke schön » aux Teutons revanchards. Sans eux, le père des Deux oncles ne serait pas né…

De retour de Basdorf, Brassens décide de fonder le Parti Préhistorique avec une corne d’auroch comme porte-étendard et un plésiosaure pour secrétaire. Prônant le retour à la vie primitive et visant à tourner en dérision les partis politiques, il n’eut pas le temps de leur décocher le moindre silex. Le parti des va-nu-pieds se transforma en Cri des gueux , journal-manifeste qui, faute de 2 dans la casse typo, ne publia qu’un numéro. Antimilitariste et 
anticlérical, il prend faux et cause pour couper les mauvaises herbes bourgeoises et pour l’esprit outré. Le journal de la Fédération anarchiste, Le Libertaire, l’engage comme correcteur et lui ouvre ses colonnes pour de virulences diatribes teintées d’humour noir, sous le pseudonyme (entre autres) Géo Cédille.

Le correcteur qu’il fut a dû penser que cette truelle perçant sous le c, ça a tout l’air d’un hommage à son maçon de père. Le mauvais garçon, s’étant fait jadis un peu voleur, soupçonnait alors de se voir asséné une glaçante leçon. Bien que déçu, le père ne lui lança aucun un regard menaçant, préférant lui tendre sa blague à tabac. Désarçonné, le fiston trouva que cette façon de faire forçait le respect.

De cédilles en syllabes, la violence de sa prose lui ayant été fatale, Géo trouve tout le temps d’achever son roman La lune écoute aux portes, estampillé NRF, le sigle de la Force de Réaction de l’Otan et avant cela, celui de Gallimard, plus orienté vers la fiction que vers la friction. Son cabinet d’avocats lui ayant conseillé de ne pas froisser la vénérable couverture, Géo se fendit d’une missive — en fait un formulaire de demande d’amnistie en vogue à l’époque — à l’éditeur. Lequel, contre toute attente, se contenta d’en faire un marque-page.

Ses talents de poète et de musicien arrivés à maturité, Georges Brassens décida d’en faire profiter la gente féminine, au grand dame de Jeanne, sa muse des premiers vers. Après avoir effeuillé une ou deux jolies fleurs, le mauvais sujet repenti rencontre Joha Heiman, une Estonienne qu’il appellera Pupchen. Son appétit des sobriquets lui avait fait choisir la traduction en allemand de petite poupée, püppchen, pour une raison évidente : les deux syllabes étaient aisées à haranguer d’une maison à l’autre, Brassens ne s’étant toujours pas résolu au principe de cohabitation. Des témoins affirmèrent que les jours d’humeur chafouine, il poussait l’invective jusqu’à un « Pupchen de toi ! » digne d’un maroufle mal embouché.
par Jean-Renaud Cuaz 28 juillet 2025
LES RENDEZ-VOUS CULTURELS D’AOÛT Rencontrer, voir, lire, écouter et ne rien rater dans les semaines à venir
par Jean-Renaud Cuaz 11 juillet 2025
L’ŒUVRE DU TEMPS Sète, le 10 juillet 2025 Je veux parler du temps de la destruction gratuite. Ici une affiche mémorielle, là un élan bienveillant pour la promotion de l’histoire locale. Certes, le temps fait son œuvre et nous assène à tous les temps que rien ne dure. Que des valeurs humaines partent à vau l’eau, entrainées par des rivalités internes, des convoitises parmi les plus funestes. Une société d’études historiques voit son Conseil d’administration, réduit comme peau de chagrin à quatre membres, voter l’exclusion d’un président pourtant soutenu par une communauté réduite au silence. Une présidence qui s’est efforcée pendant ces 18 mois de monter avec son équipe de beaux projets. Un vote couperet avant que ne soit proposé l’élargissement du Conseil et du Bureau afin de donner plus de voix aux membres de la Sehsser. Ce déploiement n’a pu se faire, ces nouvelles voix ne pourront se faire entendre. L’ancien président qui a mené l’accusation et les arguments à charge, montre par là qu’il n’a jamais voulu céder les reines à une nouvelle gouvernance plus ouverte et déployée, à l’image des affiches exposées dans nos rues pour les 80 ans de la libération de notre île décidément bien singulière. Jean-Renaud Cuaz, Président de la Sehsser 2024-2025
par Jean-Renaud Cuaz 27 juin 2025
LES RENDEZ-VOUS CULTURELS DE JUILLET Rencontrer, voir, lire, écouter et ne rien rater dans les semaines à venir
par Jean-Renaud Cuaz 29 mai 2025
LES RENDEZ-VOUS CULTURELS DE JUIN Rencontrer, voir, lire, écouter et ne rien rater dans les semaines à venir
par Jean-Renaud Cuaz 29 avril 2025
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par Jean-Renaud Cuaz 16 avril 2025
FRANCK JALLEAU (1962-2025) Le N d’ANCT est parti. N comme Nieul-sur-l’Autise où Franck a vu le jour en 1962. Ses origines vendéennes feront dire à José Mendoza, l’un de nos professeurs un brin souverainiste, qu’il ne démériterait pas à avoir un peu plus de sang chouan. La typographie française a perdu ce 13 avril un de ses apôtres, la gravure lapidaire, un de ses artisans les plus prolifiques. Nous étions 4 mousquetaires à l’Atelier National de Création Typographique (ANCT devenu ANRT) en 1986. L’année précédente, Franck avait étrenné nos tables à dessin et inauguré le programme de réhabilitation de la typographie française. Le benjamin du quarteron en était pourtant le grand frère, animant nos fins de journée avinées aux abords de l’Imprimerie Nationale, sous le regard bienveillant de Gutenberg qui nous toisait de son regard de bronze et semblait, on l’aurait juré, opiner du chef. Un caractère bien trempé, ciselé par une passion pour la capitale romaine, dont Franck vantait à s’en arracher les cheveux la perfection millénaire. C’est à coup de maillet sur un ciseau magique qu’il ravinait la pierre avec une assurance confondante. Franck creusa son sillon avec un même aplomb au service de projets humanitaires. En témoignent les parvis du Trocadero à Paris et des Nations Unies à New York. Allez leur/lui rendre hommage en foulant leurs dalles gravées de ces capitales immuables. Lui n’a sans doute pas eu le temps de graver la sienne là où il va reposer. Nul doute qu’un de ses disciples aura répondu à l’appel pour lui offrir une stèle digne de son œuvre. Avec gravées deux dates bien trop rapprochées, à notre goût. Quand il trouvait le temps, il partait à Nieule restaurer sa tanière, une vieille demeure faite évidemment de pierres qu’il taillait et montait avec l’aide d’anciens protes devenus potes, prêts à se retrousser les manches pour lui et Sylvie. Une copine qu’il avait embarquée en mobylette à un âge où on jouait au flipper. Elle l’accompagnera jusqu’à son dernier souffle. Il y avait chez Franck une rectitude dans ses choix intimes autant que professionnels, que rien ne pouvait distraire. L’enseignement sera la pierre angulaire d’une vie entièrement dédiée au partage d’un savoir-faire acquis à la force du poignet. De l’école Estienne à ses ateliers de gravure lapidaire, on aurait suivi ce gourou jusqu’au précipice. Il inspirait la confiance et un respect dont se parent les vétérans du métier. Franck n’aura pas eu besoin d’atteindre cet âge canonique pour entrer dans l’Histoire. Mais on aurait bien aimé qu’il s’en approchât. À Sylvie, Baptiste et Alice, mes tendres et affectueuses pensées. À Franck, la douloureuse gratitude d’avoir côtoyé une belle âme. Jean-Renaud
par Jean-Renaud Cuaz 29 mars 2025
LES RENDEZ-VOUS CULTURELS D’AVRIL Rencontrer, voir, lire, écouter et ne rien rater dans les semaines à venir
par Jean-Renaud Cuaz 11 mars 2025
Un peu d’histoire… Une page méconnue de l’histoire du port de Sète nous amène à… Fécamp, en Seine-Maritime. En 1855, trois groupements d’armateurs sétois y possédaient le quart de la flotte fécampoise des morutiers armés pour la pêche au large de Terre-Neuve. Les ketchs et autres bricks, une fois leurs cales remplies, mettaient le cap sur le détroit de Gibraltar pour décharger leur cargaison de morues dans le port de Sète. Le poisson y était salé et séché, dans une région riche en sel. Les bateaux repartaient ensuite vers Fécamp, les cales remplies cette fois de vin du Languedoc et de sel destiné au commerce. Ce négoce prospéra jusqu’à la guerre franco-prussienne de 1870 qui marqua un coup d’arrêt fatal. Les derniers morutiers sétois de Fécamp sont désarmés en 1890. Mais l’activité perdurera quelques dizaines d’années dans le port de Sète. À BORD DE L’AMADEUS Ce ketch aurique* est le plus vieux gréement amarré dans le port de Sète. Il fut mis à l’eau le 17 juillet 1910, sous le nom d’Agatha pour la pêche à la morue. Jean-Christophe Causse, son propriétaire depuis 1989, l’a acheté à une association de musiciens qui avait rebaptisé leur navire en hommage à Mozart.  Bienvenue à bord ! Amarré au cœur de la cité portuaire, le long du quai de la République, sur le canal Maritime, l’Amadeus vous tend sa passerelle entre les ponts de Tivoli et de la Victoire, entre mer et étang. Les mille vies que ce porte-étendard des expéditions morutières a connues feront l’objet de débats animés programmés tout le long de l’année. Les deux ponts du morutier, couvert à l’arrière, ouvert à l’avant, vous accueilleront pour des tables rondes, des dégustations de produits du terroir. * Voilier à deux mâts dont le grand mât est situé à l’avant. Ketch vient du mot anglais catch, signifiant prendre au sens de prise de pêche. Le gréement aurique de l’Amadeus comprend 6 voiles : mât d’artimon (une voile aurique et un flèche), mât principal (une voile aurique et un flèche) et sur le beaupré (trinquette et foc).
par Jean-Renaud Cuaz 1 mars 2025
LES RENDEZ-VOUS CULTURELS DE MARS Rencontrer, voir, lire, écouter et ne rien rater dans les semaines à venir
par Jean-Renaud Cuaz 29 janvier 2025
LES RENDEZ-VOUS CULTURELS DE FÉVRIER Rencontrer, voir, lire, écouter et ne rien rater dans les semaines à venir
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